le festin
Compagnie
Anne-Laure Liégeois
 
 

Fatema Mernissi / Harems
Un spectacle d’Anne-Laure Liégeois, Amal Ayouch et Sanae Assif

d’après différents écrits de Fatéma Mernissi



adaptation et mise en scène Anne-Laure-Liégeois 
Avec Amal Ayouch, Sanae Assif
Participation à la recherche de textes Asmaa Houri, Amal Ayouch
Collaborateur à la direction d'actrices Olivier Dutilloy
Lumière Guillaume Tesson
Photographies Anne-Laure Liégeois
 

Dates passées



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Production  Le Festin – Compagnie Anne-Laure Liégeois et Gorara pour les arts et les cultures
Coproduction 19H Théâtre, Théâtre national Mohammed V
Avec l’aide à la création de la Commission Internationale du Théâtre Francophone (CITF), la CIH Bank, avec le soutien de l’Institut Français du Maroc et de l’ambassade de France au Maroc, Bayer, L’Uzine, Shem’s, Fondation des Cultures du Monde, le CCME Conseil de la communauté marocaine à l’étranger.
 
 

"Une femme peut-elle commander les musulmans?" ai-je demandé à mon épicier, qui est, comme la majorité des épiciers du Maroc, un véritable "thermomètre" de l'opinion publique.

Ce sont les premiers mots du Harem Politique de Fatéma Mernissi. Les premiers mots : une question. LA question. Une femme peut-elle commander les musulmans? Une femme peut-elle commander ? Plongée directe dans le puits sans fond de la réflexion ! Porter sa réflexion sur les écrits de Fatéma Mernissi, c'est porter un regard aigu sur la condition de la femme du monde arabe et pour une femme qui n'est ni arabe ni musulmane, c'est poser sa réflexion sur toutes les femmes. Sur chacune de nous, sur ce qui nous lit, nous unit, sur ce qui fait (peut-être) nos différences.

C'est une aventure que je n'aurais pas initiée. Je ne m'en serais pas autorisé l'idée. Je travaille bien souvent sur le sujet de la femme et de tous nos empêchements, sur ce long cordage que nous pouvons tendre d'un pays à un autre. De Fatwa Souleimane à Asli Erdogan, à Gisèle Halimi, à Virginia Woolf, à Hannah Arendt, Angela Davis… Mais porter mes réflexion et création sur la femme des pays arabes, sur la femme marocaine (le Maroc est le pays musulman que je fréquente le plus) grâce à cette femme à l'engagement fort et joyeux, je ne l'aurais pas fait sans la volonté, et l'accord, l'autorisation presque, de Amal Ayouch. Une femme. Une musulmane.

Je fréquentais le Maroc depuis des années mais jamais n'avais rencontré le nom de Fatema Mernissi. Seules les rues, leur nom, fixaient pour moi ders personnalités marocaines. Combien de rue, de square, de riad portent le nom de Fatema Mernissi ? Avec Amal je la découvrais. Elle fut sociologue, professeure, chercheuse, essayiste, romancière (traduite en 22 langues) est une exploratrice, curieuse et sensible, qui n’a eu de cesse de fouiller l’humain. Et c’est l’injustice perçue par les femmes marocaines soumises au diktat des croyances populaires et aux lois patriarcales qui a retenu toute ses recherches et tout son combat. Par un énorme travail de terrain mené sans relâche tout au long de sa carrière, elle a révélé au grand jour différentes facettes, jusque-là inexplorées, du vécu des femmes, tant dans leur quotidien que dans leur imaginaire. Elle a ouvert la voie à la longue marche de l’émancipation de la pensée féminine marocaine. Elle a été l’initiatrice de la prise de conscience du poids social qui pèse lourdement sur les femmes et les empêche de se libérer des croyances populaires. Elle n’a eu de cesse d’identifier des stratégies qui renforcent les droits de la femme. Elle est allée questionner l’histoire, questionner les textes sacrés, analyser l’énorme masse de la littérature religieuse (et ce non sans difficultés), interroger la tradition musulmane. Un travail courageux et engagé qui lui a valu là encore d’être pionnière en tant que femme arabe musulmane.

Il a été question dans un premier temps pour moi de travailler à partir de la matière écrite par Fatéma Mernissi, incroyable de variété et de richesse. Une matière non dramatique mais faite d'œuvres littéraires (Rêves de Femmes est un roman), et sociologique (Êtes-vous vaccinés contre le harem, Le harem et l'occident, Le harem politique…), et aussi de conférences (celle au Hampshire College est très émouvante), d'interview (celle particulièrement drôle avec un jeune journaliste danois), d'articles de presse, de recension, de colloques, de textes issus de catalogue d'exposition (j'ai puisé dans Fantaisies du harem et nouvelles Schéhérazade publié à l'occasion de l'exposition du Centre de Culture contemporaine de Barcelone), de notes prises auprès de femmes de villages de montagnes… C'est dire combien la réflexion de Fatéma Mernissi était riche et irriguait tous les supports, combien sa participation au monde était généreuse. À partir de cette vaste matière, il m'a fallu composer un texte vivant, pouvant rencontrer des bouches de comédiennes, un texte destiné à la scène. L'entreprise était ardue mais l'envie de faire entendre cette parole simple, et néanmoins scientifique, taillée au scalpel, et cependant fleurie et toujours pleine d'humour, était forte et le désir vif de faire entendre le combat riant de toute une vie consacrée à la cause des femmes, l'emportait sur la peur de l'ampleur de la tâche. Et puis la passion quasi amoureuse pour l'œuvre de Mernissi des deux comédiennes initiatrices du projet, leur volonté militante d'aller à la rencontre de groupes de femmes, public souvent éloigné, m'indiquait de céder à l'appel de ce projet. Enfin le regard tout à coup plein d'amitié et les mots chaleureux de la douanière à l'aéroport de Fès quand elle vit, au milieu du bazar de ma valise qu'elle inspectait, les livres de Mernissi (« vous connaissez Fatéma ?! »), ne pouvaient que me donner l'élan vers une aventure de création.

 

Anne Laure Liégeois