d’après " Le Spectateur en dialogue " et " Autothéâtrographe " de Bernard Dort et des textes de Christian Caro à partir de témoignages de spectateurs

Mais qu’est-ce qui m’a pris ? Pourquoi suis-je venu dans ce théâtre, et qu’est-ce que je cherche au juste, moi, le spectateur entré dans le rang, alors que les lumières de la salle s’éteignent doucement ?? J’ai le programme de ce soir devant les yeux, je l’ai retourné dans tous les sens, les caractères sont petits, je ne suis pas sûr d’avoir tout compris, je n’ai pas mes lunettes. Est-ce qu’ils savent vraiment comment tout cela va finir ? Et finir chaque soir de la même façon ? Ce n’est que du théâtre après tout. Je n’ai pas peur du noir. Ils commencent en retard. Non, non, c’est bien ma place, vous, c’est impair. Ça commence, le plus beau de la vie, les commencements. Ça dure combien de temps ?? Quelqu’un a dit : on ne peut admirer que les paysages qu’on a déjà admirés. Je m’apprête à applaudir ce que j’ai déjà applaudi, et j’attends que les comédiens me rejouent un peu de ma vie, surtout la vie que je n’ai pas vécue. Mon voisin tousse, il tient un livre à la main, je jette un œil, il est écrit que lorsque la pièce commence, A. est seul en scène. Noir. Lumière, l’acteur est là, je le regarde, enfin il me regarde plutôt. Je le reconnais, il me reconnaît, me sourit. Je préfère être à sa place qu’à la mienne. Il n’a qu’un strapontin. Quand il se lèvera, son siège claquera, tout le monde dira « chut ! ». C’est écrit. Première réplique : « Mais qu’est-ce que vous avez tous à me regarder ? »