le festin
Compagnie
Anne-Laure Liégeois
 
 



La maison d'os
de Roland Dubillard // Production Théâtre du Rond-Point
mise en scène Anne-Laure Liégeois

assistée de Mathieu Dion
lumières Dominique Borrini
réalisation sonore François Leymarie
scénographie Anne-Laure Liégeois, Yves Bernard
collaboration aux costumes Élisabeth Dordevic
avec Sharif Andoura, Sébastien Bravard, Olivier Dutilloy, Agnès Pontier, Pierre Richard
et participation de 30 comédiens amateurs
assistés de Laurent Bellambe
 

Dates passées



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Production du Théâtre du Rond-Point, coproduction Le Festin-compagnie Anne-Laure Liégeois, Théâtre de l'Ouest parisien

Le texte est publié aux éditions Gallimard

 

Pierre Notte : Le projet de "La Maison d'os" est né du vivant de Roland Dubillard, comment avez-vous découvert ce texte ? Comment Dubillard s'est-il imposé à vous après Perec, De Vos, Marlowe, Webster, Wallace ? 

Anne-Laure Liégeois : En juillet 2011 Jean Michel Ribes qui avait programmé l’Augmentation et Débrayage en début de saison, et qui avait vu mon dernier spectacle la Duchesse de Malfi, me disait : « tu fais ce que tu veux, où tu veux, quand tu veux... » difficile de résister à une telle proposition quand elle vient du directeur d’un des plus formidables et désirables théâtres de Paris. Quand la liberté est si grande, quand la confiance est telle ! Mais je l’avoue  honteusement l’absence de contraintes me panique... la générosité était à peine croyable, extraordinaire et ce qui l’était tout autant c’est que je ne savais tout à coup, alors que j’ai toujours des tombereaux de textes à rêver, plus du tout sur quel texte me mettre à l’ouvrage ! Alors j’ai lu et relu tous les maîtres et camarades du Rond Point et de JM Ribes. J’ai lu Topor avec un plaisir sans bornes, mais Topor  même toujours si vivant par son écriture, par précisément son écriture sur la mort, ne respirait déjà plus le même air que nous ! Et le Rond Point est la maison des auteurs vivants! Et puis j’ai relu tout Dubillard. La Maison d’Os n’était plus éditée mais j’ai persévéré et quand je l’ai enfin trouvée et lue, c’était évident... J’avais le sentiment de devoir faire vite, c’était maintenant qu’il fallait mettre en scène La Maison d’Os, parce que personne ne le faisait et que ça n’était pas pensable qu’un tel texte ne soit pas joué, parce qu’il fallait qu’on entende  Dubillard, qu’on entende vite, avant qu’il ne soit trop tard, ce texte qui disait la fin débridée et folle d’un corps. La fin d’une histoire. Vite faire ce Dubillard-là une nécessité pour que vive encore le poète. Et puis après, il est mort et je ne l’ai pas rencontré, je crois que j’en garderai une blessure. Pour avoir partagé des heures et des heures avec Perec, avoir mis ses mots dans nos bouches, et n’avoir jamais senti son souffle, le vrai, je sais comme il est triste aussi parfois de travailler avec un auteur qui pourrait être encore vivant.

Dubillard s’était imposé parce que toutes les grandes écritures s’imposent. Et puis aussi sans doute parce qu’il y a dans le texte un fond de réflexion commun sur les rapports dominants dominés, ou plutôt menants menés, tête et corps, tête et membres du Tout, entre La Maison d’Os et ses 80 valets et 1 maître, et L’Augmentation et Débrayage où se débattent des patrons et des employés ; parce que comme chez Perec les choses sont dites là dans un éclat de rire, une féérie de mots, une fête de la langue ; parce que l’heure y est grave mais faite de minutes légères comme chez De Vos ; parce qu’il est question de grand corps pourrissant allègrement, de monde touchant à sa fin comme dans Webster, Marlowe et Wallace, que se pose ici encore la question de la mort et du monde à vivre après la disparition!...

PN : C'est une œuvre multiforme, pleine de figures, de passages, de lieux... Mais raconte-elle une histoire ? Est-ce une épopée gigantesque, un parcours initiatique ? une aventure intime ? 

ALL : Il y a des égouts, des combles, des tuyaux en tout genre, circuits électriques, plomberie, comme une peau retournée ou un corps utilisé par les étudiants en médecine, un squelette sur perche avec pieds ballants et intérieur plastique bleu et rouge ! Et circulant dans cet espace de poussière qui oscille entre réel et irréel, il y a un maître, comme un grand corps qui se contemple et ses quatre vingts valets, comme ses membres débridés, ses cellules devenues folles ! Une maison grande comme un château, un corps grand comme une maison, des personnages qui surgissent du néant et y retournent aussi vite ; on ne sait plus où on est, en haut, en bas, sur terre, déjà en enfer ou au paradis, dedans, dehors... on ne sait plus si celui qu’on a croisé au détour d’un couloir est le même que celui qui met la terre en pot et règle les pendules, si celui qui danse sous la gouttière est le même que celui qui règle l’harmonium. C’est une oeuvre folle qui raconte l’histoire d’un homme qui veut contempler le monde depuis le haut, hors de lui-même qui veut savoir ce que devient son corps quand il n’est que pur esprit. C’est l’histoire de tous ses membres, de toutes ses cellules, qui le composent qui continuent à faire une sacrée fête quand leur maître est parti, de souris qui dansent quand le chat a quitté les lieux. C’est un parcours vers l’admission joyeuse de sa fin et de sa survivance. C’est la plus intime des aventures, celle de soi avec soi. La compréhension de sa réalité. Celle qui me fait souvent me pincer pour me dire j’existe quand je me demande si je suis ce corps ou cette chose qui le pense. C’est aussi toute l’histoire d’une pétrification qui finira en feux d’artifice. Peut-être que tout cela paraît bien compliqué mais c’est aussi simple et évident que la poésie quand elle est inévitablement belle.

PN : "La Maison d'os", c'est le portrait d'un homme, d'un fou, d'un roi ou d'un vieillard ? Qui est-il pour vous, le maître ? 

ALL : Le maître c’est celui qui veut savoir avant de partir, qui veut savoir comment sera le monde sans soi, quel portrait on a du monde, quelle carte topographique apparait de soi quand son corps s’élève au dessus de sa maison, ce qui reste de soi et du monde quand on ne lui appartient plus, ce que devient le théâtre quand on l’a quitté et que ne brûle plus que la servante, et les poupées et les peluches, et les jouets dans le coffre, ils s’animent quand on s’est endormis ? il veut savoir ce qu’est le théâtre puisque le théâtre est le monde qui s’étale devant nous, auquel on participe sans y appartenir, il est celui qui veut encore longtemps faire rouler le monde dans sa main, comme les cailloux qu’il entrechoque et fait se caresser au creux de sa paume, celui qui se lève de sa chaise roulante et danse, celui qui aimerait que sa femme ne soit plus cette bûche qui a cessé d’être. C’est un homme formidable, de formidabilis : redoutable, bon et méchant comme ses valets sont formidabilis parce que bons et méchants, tous humains, tous appartenant au grand Tout, au grand Lui, le Maître... C’est un homme, un fou, un roi, un qui touche à l’éternité. Et aussi qui en revient !

PN : Votre projet tient évidemment ? à cette rencontre que vous faites avec Pierre Richard, est-il en adéquation totale avec la figure de Dubillard, ou est-ce une totale composition ? Comment travaillez-vous ensemble ?

ALL : Le projet tient au désir du texte, au désir de vivre des aventures avec ces comédiens, ceux avec lesquels, formidables drôles, généreux éclatants avec lesquels j’aime depuis toujours et pour toujours travailler, du désir de travailler avec eux. Le désir est là. Je cherche quel est le comédien le plus juste, le Maître exact ! et c’est Pierre Richard qui s’impose aussitôt. Il est le plus juste car il existe au delà des personnages qu’il a interprétés, il est son personnage. Il est un Maître pour nous tous, qui jouons ensemble depuis longtemps, parce qu’il est une langue à lui tout seul, une poésie. Son corps a une langue, sa voix aussi. Et Olivier Dutilloy, Anne Girouard, Sébastien Bravard, Sharif Andoura, parlent la même langue. Une langue de chair et de rire, une langue qui sait donner de la poésie aux mots. Prenez Pierre Richard et cherchez quelle est sa musique, sa couleur, vous les trouvez très vite. C’est clair et c’est beau ! Et ça n’est pas si souvent.  Les comédiens qui l’accompagnent dans cette aventure savent jouer la même musique et aiment la même couleur. Vraiment, ça va être une sacrée fête ! Tous les cinq, ils sont les mots de Dubillard. Aucun n’est une composition puisque les mots appartiennent depuis toujours à tout le monde.